dix-huit mois de recherche-action au sein d’une résidence sociale, artistique et temporaire à Strasbourg

06 ¦ 12 ¦ 2019
Habitat intercalaire

De quelle hospitalité parle-t-on ?

06 ¦ 12 ¦ 2019 · Habitat intercalaire Squat vs Odylus
En questionnement La vision politique du projet Odylus : un squat amélioré
Illustration Tag « Odylus je rêve de toi ! – Moi aussi ! »
Auteur·e·s Syamak Agha Babaei, à l'époque de l’entretien, conseiller municipal en charge du logement et aujourd'hui 1er adjoint à la maire de Strasbourg en charge du suivi des questions budgétaires et financières, des marchés publics et de la définition des principes et orientations de la politique des achats.

Kevin On voudrait revenir sur la genèse du projet, donc déjà comment l’idée est née ? Le choix du format ? Avoir un point plus institutionnel sur le projet Odylus… Syamak Alors l’idée, c’est que le projet a germé en janvier 2018. L’inauguration s’est faite en juin 2019. Quant à moi, j’avais visité durant l’été 2017 les Grands Voisins à Paris. Et j’avais lu d’abord des publications sur les réseaux sociaux et bon je trouvais ça hyper intéressant et je suis allé le visiter. Je leur ai écrit pour organiser une visite, bon ils ne m’ont pas répondu à ce moment-là, ils m’ont répondu après coup, et donc du coup je suis allé moi-même comme ça, donc je n’ai pas tout visité mais j’ai ressenti l’ambiance sur place et je trouvais ça assez fou... Pauline Donc 2017 c’était encore la saison 1 des Grands voisins ? Il y avait encore tous les bâtiments qui étaient présents ? Syamak Oui il n’y avait encore rien qui était traité, c’était dans le premier accord qui avait été négocié avec l'APHP [Assistance publique – Hôpitaux de Paris] et la ville de Paris. Je trouvais l’idée très intéressante et je me suis dit qu'il faudrait qu’on puisse faire ça à Strasbourg mais je ne savais pas sur quel objet, je ne savais pas où, je ne savais pas avec qui… En 2017 s’est passée aussi la chose suivante, c’est que pour la première fois, sous mon impulsion et avec d’autres, on a réussi à ouvrir cent places d’hébergement pérenne pour des personnes vulnérables à la rue, financées par la ville de Strasbourg. Donc une sorte de brèche s’était ouverte parce que jusque-là la position, c’était « Bon ben c’est à l’État et puis voilà, ce n’est pas de notre compétence, donc on fait ce qu’on peut. » Et ensuite, il y a l’arrivée dans le jeu d’un promoteur qui m’appelle dans les premiers jours de janvier 2018, qui dit « Écoute j’ai vu ce que vous avez fait… » Pardon, les cent places ouvrent en 2018, elles sont pensées en 2017 mais ouvrent en 2018, aux mois de janvier, février. Et donc il dit « Voilà, j’ai entendu ça, je veux contribuer. » C’est donc Lafayette Promotion avec Eddy Vingataramin. On se voit, je lui dis « Mais comment tu veux contribuer ? » Il me répond « Voilà, je suis sur un projet que je ne vais pas sortir tout de suite, je peux le retarder. On peut le dédier à l’accueil des réfugiés et tout. » Et nous, on décide de l’orienter vers l’hébergement. Ce même jour ou le lendemain, je prends mon téléphone et j’appelle Roland Ries [à l'époque maire de Strasbourg], qui n’est pas en France mais qui me répond et qui dit « Ok pour étudier. » Pas de problème, il n’y a pas de désaccord de principe. Une réunion est organisée assez rapidement avec son cabinet et le DGS [Directeur Général des Services] de la ville de Strasbourg et tout le monde dit : « Ok, ben on y va, et on y va mais pour une jauge – à l’époque on ne savait pas trop combien, mais on disait au départ – pour une jauge d’environ cent places. » Mais sans connaître le contexte et avoir regardé le bâtiment… Donc, je suis avec le service de l’habitat qui n’avait jamais fait ça, le service de la direction des solidarités qui n’avait jamais fait ça, et donc je leur dis « Ben il faut qu’on commence à travailler ça. » Et donc je leur dis qu'à Paris il y a Plateau Urbain qui est intervenu, on peut les contacter pour voir s’ils peuvent nous accompagner. Donc Plateau Urbain vient une journée à Strasbourg, ça nous coûte quand-même très cher cette intervention, la journée, c’est 7000 €... Pauline Tout ça pour faire la transmission d’expérience ? Syamak Ah ben nan pas forcément, c’est juste ils viennent, ils visitent le bâtiment et à la fin ils donnent leur avis… Pauline Sur la faisabilité ? Syamak Voilà c’est ça. Et en fait on se rend compte que Plateau Urbain et le modèle des Grands Voisins est aussi un peu fantasmé par rapport à ce qu’on… Je veux dire, ce qu’on en voit de l’extérieur, c'est assez joli mais c’est un modèle qui est basé sur des locaux d’activités essentiellement. Plateau Urbain sait comment trouver des locaux d’activités dans des friches industrielles ou dans des friches tout court parce qu’il n’y a pas assez de locaux d’activités et de bureaux. Mais la question de l’hébergement, on se rend compte que finalement, c’est un projet annexe pour eux. Il y a un bâtiment qui est dédié à l’hébergement et qui est géré par Aurore et c’est tout. Tout le reste, c’est autre-chose, ce sont essentiellement des locaux d’activités et leur modèle économique tourne autour de ça. Et donc quand Plateau Urbain arrive ici, ils disent « Mais là-dedans, vous n’allez pas faire d’activités et donc nous, je ne sais pas où on va intervenir… » Mais moi j’avais dans l’idée de faire du logement, une partie culturelle et artistique avec des résidences d’artistes mais je ne savais pas sous quelle forme. Pauline Donc là ce serait plutôt Yes We Camp… si on en revient aux Grands Voisins ? Syamak Oui, c’est ça. Plateau Urbain serait aussi intervenu. En fait Yes We Camp est la structure associative et Plateau Urbain est le bureau d’étude, en fait ce sont des urbanistes qui ont conseillé. Pauline Mais c’est Yes We Camp qui gère en fait les résidences artistiques. J’y étais d'ailleurs la semaine dernière… Syamak Oui. Et à ce moment-là je me dis « Bon, qui peut gérer ça à Strasbourg ? » et je pense à Horizome. Donc j’appelle Grégoire Zabé et je dis « Est-ce qu’un truc comme ça, ça t’intéresserait ? » Et j’appelle en même temps une structure associative, l’Étage, parce que je connais bien, puisqu’en fait je suis passé par des gens que je connais personnellement. Je dis alors à Brice Mendès de l'Étage : « Est-ce qu’un truc comme ça, ça t’intéresse ? ». Au final, les deux me disent oui, du coup je pense que le fait qu’il y ait eu ces relations, cette connaissance interpersonnelle, ça a permis de sauter pas mal d’étapes, parce que si on devait aller sur un appel à projet, je pense que ça aurait pris plein de temps et ça aurait été plus compliqué. Et après, même si moi je veux aller très vite, je vois qu’au niveau des services de la collectivité, ça freine parce que personne n’est outillé pour faire ça, personne n’a jamais fait ça, que ça semble très compliqué et qu’on ne sait pas comment intervenir, que dans les réunions, les gens qui viennent à chaque fois, ça change, ce n’est jamais les mêmes, que se pose la question de qui finance quoi, quelle direction finance quoi, quelle direction finance la culture, qui finance l’hébergement… Et puis arrive un moment où en même temps est votée la… Pauline « La ville hospitalière » ? Syamak Non, est votée au niveau national, la limitation de l’augmentation des dépenses de fonctionnement des collectivités à 1,2 %, et là on me dit « Ah ben, on n’a plus d’argent. » Dans l'idée, au départ la ville de Strasbourg devait mettre 100 000 €, donc je suis allé chercher 100 000 de l’Eurométropole, ils étaient ok, sachant que pour les autres 200 000, on s’est dit qu’on sera obligé d’aller voir l’État. L’État a de l’argent, il cherche des places, mais il ne mettra pas le même public, il ne prendra pas notre public qui est le public vulnérable à la rue, eux ils prendront un public réfugié, statutaire pour lequel ils n’ont pas de solution pour le moment. Donc on s’est dit « Voilà, s’il faut passer par là on passe par là, mais on fait quand-même le projet. » Parce que c’était bête d’arrêter le projet voilà… Et ensuite la ville me dit : « Ah finalement, on n’a pas 100 000 € on n’a que 50 000. » et donc je retourne voir Robert Hermann pour le convaincre de mettre 50 000 de plus, et à l’époque il me dit oui. Et donc on boucle le budget, donc on sait qu’on a un besoin de 400 000 €, on a un tour de table qui est là. Après commence la partie compliquée, parce que tout ça c’est théorique, après la partie compliquée c’est le bâtiment. En fait dans tous les gens qui ont parlé, moi-même j’avais visité une fois le bâtiment, je me suis dit jamais de la vie on va pouvoir faire ça dedans, la deuxième ou troisième fois que je visite je crois que ça n’avance pas, il y des travaux qui doivent avancer, ça n’avance pas, ça prend longtemps, quand je discutais avec Brice ou avec Greg ben les gens me disent « Mais tu es sûr que ça va se faire ? » Je vois aussi le doute s’installer parmi tout le monde, et tout le monde sent que c’est compliqué quand-même, il y a des travaux à faire, le promoteur s’engage à faire les travaux mais le promoteur il dit aussi « Voilà c’est super simple, on va mettre ça, ça, ça, et ça, et puis ça se fait. » Là le bureau d’étude, les entreprises qui doivent faire les travaux ne sont pas toujours là, d’ailleurs ça traîne encore, aujourd'hui je ne sais pas si la cuisine... Ça y est, l’évier... il y a l’eau ? Pauline Ça y est, on a l’eau ! Syamak Et la douche ? Pauline C’est bon aussi pour ça ! Syamak Alors il faut fêter là ! Pauline Alors le gros problème maintenant, c’est l’électricité. Syamak Oui mais ça va s’arranger. Il y a un devis… Pauline Oui, mais l'Étage disait que ce n’était pas forcément sûr… Que même si on augmente la quantité sur la facture… d’ajouter du coup… Syamak Non ce n’est pas la facture… Oui il y a eu dès le départ, de ce qu’on m’a dit… Pauline …Pas assez de puissance ou quelque-chose… Syamak Oui, Brice a signé le devis et on a dit que nous, on va donner une subvention à l’Étage, c’était la manière la plus simple de faire les choses. Donc normalement il devrait intervenir d’ici la semaine prochaine. Donc fin décembre le problème devrait être réglé. Pauline Ok, parce que mercredi, ils étaient encore un peu dans le doute, pas tant sur l’aspect de la gestion, mais même en faisant ça, est-ce que ça suffira ? Syamak À priori ça devrait aller, j’espère en tout cas. Mais donc on voit les travaux qui… Donc on est à 2018, parce que qu’au début ça doit ouvrir à la rentrée 2018. Pauline Novembre oui. Syamak Voilà, bon on se rend compte que c’est impossible, donc on se dit que bon, c’est pas la peine et puis il y a des problèmes juridiques qui se posent : Qui est-ce qui loue ? Qui est-ce qui est locataire ? Donc qui est-ce qui paie ? Je crois qu’aujourd’hui il n’y a encore rien de signé, il n’y pas de bail, je veux dire on est dans un flou… C’est intéressant mais ça montre finalement que le flou c’est faisable. Et là ça serait assez exemplaire si d’ici la fin il n’y rien qui est signé, et je pense qu’il n’y aura rien qui est signé, parce qu’on aura même eu l’État qui sera embarqué dans cette aventure sans rien signer ! Pauline Donc on est vraiment dans les interstices… Syamak Mais c’est intéressant de voir si du coup on a besoin ou pas de toutes ces protections, de ces artifices et le cadre juridique ? Et donc ça prend du temps, ça ne marche pas et je crois qu'à l’hiver 2018, alors je ne sais plus si c’était novembre, décembre ou début 2019, genre... On fait une visite sur place et je vois la quantité de travaux qui restent je me dis que c’est incroyable, ça ne se lancera pas… Et à un moment, le promoteur désigne la SERS [SOC Aménagement Équipement Région Strasbourg] comme exécuteur à sa place. À partir du moment où eux prennent les choses en main ça devient un peu plus clair, on a un calendrier qui est plus clair, les entreprises recommencent à intervenir et puis on arrive jusqu’à l’ouverture (1er avril). C’est assez intéressant, et c’est là qu’on se rend compte qu’un projet d’occupation temporaire ne peut pas se penser sans lien avec le bâtiment. Il est forcément lié au bâtiment. On ne peut pas le penser ex-nihilo. Et ça se pense quand le bâtiment est occupé, parce que sinon on assiste à la situation de la clinique Sainte-Odile où potentiellement quand elle a été vidée, c’était tout de suite occupable, sans grands travaux mais le fait d’avoir laissé plusieurs mois le lieu à l'abandon, ça a été dégradé, avec des vols de matériel… et à la fin il faut réinvestir 300, 400, ou 500 000 €… Je ne sais jamais combien il a dû dépenser mais il met quand-même une somme assez conséquente d’argent sur la table et les travaux, les délais, tout ça, s’allongent. Donc la leçon à retenir, c’est qu’on devrait presque avoir une cellule de veille aujourd’hui d’urbanisme transitoire qui doit tourner, qui doit repérer les bâtiments, qui doit dire quel type d’utilisation est possible, sachant que les situations peuvent être multiples, dans le temps, concomitantes, se succéder, et que l’utilisation rationnelle de la ville voudrait qu’à tout espace disponible on puisse assigner des usages qui sont des usages temporaires plus ou moins longs. Entre deux destinations très longues, on peut dire qu'il y a un délai. Et on voit bien qu’il y a plein de biens comme ça. On voit bien qu’on ne le pense pas comme ça. Et donc, moi, de cet exemple-là, est venue l’idée aujourd’hui de dire qu'il faut développer ça comme une compétence en interne. C’est pour ça que j’avais proposé la création d’une agence d’urbanisme transitoire ou je ne sais peut-être pas comment il faut l’appeler, mais une équipe d’urbanistes, soit qui est liée à la collectivité, soit même des gens qui seraient en dehors de la collectivité, qui repèrent les lieux, proposent des usages, des projets… On trouve parfois des modèles économiques, parfois pas, parfois c’est de la valorisation marchande, parfois de la valorisation sociale, sauf qu’aujourd’hui les seules valorisations possibles, ce sont les valorisations marchandes. On fait des bars éphémères, c’est super tout le monde aime bien, mais quid de la valorisation sociale qu’on pourrait faire, quid des gens qu’on pourrait y loger, quid des lieux de rencontre qu’on pourrait organiser, tout ne se fait pas autour de la valorisation marchande. Et donc ça amène ensuite la question du commun et des communs, parce que ça amène à des lieux où il y a une potentialité urbaine qui existe et une potentialité qui est peut-être laissée en friche et qui peut permettre des usages différents selon le temps. Et ces usages différents peuvent être définis soit dans des projets publics menés par la collectivité, mais aussi dans une vision des communs dans des usages qui sont faits par des gens, par des citoyens, par des usagers du lieu… En tout cas je trouve que c’est une manière très intéressante de faire la ville. C’était enrichissant mais on s’est beaucoup cassé les dents là pour le faire et on voit bien que c’est un projet qui est tellement expérimental que ben… Voilà : l’électricité, personne n’y avait pensé. Je veux dire l’eau met longtemps à arriver alors que ça devait arriver au début, mais après ça montre aussi qu’on connaît le promoteur autrement, parce qu’il y a des promoteurs avec qui jamais ce genre de problèmes ne se posent. On voit bien qu’un promoteur qui est sous-outillé, ben il gagne probablement beaucoup d’argent parce qu’il n’a pas de salarié lui-même donc tout est pour lui, mais par contre les délais d’intervention et les cadres d’intervention sont plus longs et plus bancals. En tout cas pour moi c’est une des réalisations du mandat dont je suis le plus satisfait parce qu’au départ c’est une idée, et je trouve que ce qui est bien, c’est quand l’idée arrive à… Moi ça m’a toujours passionné, quand on part de zéro et on arrive à un résultat, on fait quelque chose. Et ça, c’était une idée… Au départ, c’était juste une idée. Et après ben là, il y a la conjonction de beaucoup de choses, il y a la conjonction du promoteur qui propose ça, parce que sans lui ça ne se fait pas, en tout le lieu n’existe pas ; il y a la conjonction des acteurs associatifs qui acceptent de se lancer dans l’aventure et finalement les services qui, quand ils voient que je suis obstiné en la matière, disent « Ok, on y va quand-même. » Pauline Mais peut-être ce qui nous relie finalement, c’est peut-être aussi d’essayer. Finalement, il n’y aucun de nous tous autour de la table qui avait déjà une expérience concrète, que ce soit l’Étage, ce n’était pas le public qu’eux connaissent, nous pareil, on est plutôt habitué par de l'intervention… C’est vraiment l’expérience qu’on vit sur le moment et ça aussi je vois une chose intéressante là-dedans. Après il y a aussi beaucoup de difficultés à la fois, puisqu’on prend conscience aussi petit à petit en étant dedans, de l'importance de la dignité humaine, parce que tout ça (l'habitat intercalaire), ça peut aussi poser quelques problématiques en termes humains. Syamak Entre vous ? Pauline Oui entre nous, il y a plein de choses mais là je pensais déjà plus au rapport à l’émotion. C’est ce qu’on a déjà essayé de mettre en avant sur un premier retour à l’université, c’est aussi comment au final par le contact avec des personnes vulnérables, toi-même ça te transforme dans ta manière d’agir, dans ta manière aussi de transmettre et comment on s’implique aussi dans le projet, pour essayer de relever ce monde qui tourne à l’envers, les choses qui ne vont pas du tout dans les relations… Je veux dire… Laissons la place... Chacun des résident a des idées pour améliorer son quotidien... Syamak En fait ça, ça m’est venu, parce qu’au départ j’avais juste l’idée des résidences d’artistes, mais ce n’était pas très clair, je savais qu’Horizome devait y faire quelque chose dans ma tête, je ne savais pas encore exactement quoi non plus. C’est vous qui alliez dire comment vous alliez intervenir. Mais rien de tout ça n’était clair. Mais l’idée était que ça ne suffit pas juste d’héberger. Alors pour le coup, en plus dans une situation de bâti assez complexe, entourée de chantiers, il fallait autre chose, il fallait un truc en plus. D’ailleurs on le voit sur d’autres projets, par exemple sur le squat à l’Hôtel de la Rue, il y a eu la même tentative qui s’est faite avec le Wagon Souk même si maintenant, il y a une rupture et ça ne marche plus. Mais la même chose s’est faite, il y a un éco-système qui s’est fait autour du Wagon Souk, avec des bénévoles qui venaient et alors ici [à l'Odylus], on n’est pas dans un squat mais ça participe peut-être du même phénomène. Pauline Et puis le fait aussi que ce soit un bâtiment qui soit vacant, qui soit en attente aussi de changement d’usages. Syamak Ben typiquement ce bâtiment là [l'hôtel de la Rue], il aurait pu servir à un projet d’hébergement temporaire piloté pour le coup par la Ville avec une structure associative qui existe juste à côté [le Wagon souk] et qui était preneuse et peut-être aussi un volet économique d’insertion. Mais moi ce que j’aime beaucoup chez Horizome et ce que je retiens beaucoup, c’est aussi de travailler sur la capacité à agir des gens. C’est un élément essentiel parce qu’on parle souvent des gens dits dans des situations vulnérables, on parle de gens fragiles, mais dans toutes nos dénominations, on efface aussi leurs potentialités et leurs capacités à faire. Donc typiquement on dit des gens défavorisés, des gens démunis, comme si c’était la chance et donc c’est comme s’ils n’arrivaient à rien faire, alors que toutes ces personnes ont un passé, ont un apprentissage, ont des compétences… Ça j’aime beaucoup, l’idée de comment on peut travailler pour faire émerger ces compétences, valoriser ces compétences, les revisibiliser... Moi, ça m’a aussi amené dans les propositions politiques que j’ai faites, par exemple dans la création de cinq cents places d’hébergement, d’y mettre un budget, là on l’avait chiffré à trois millions mais dans les trois millions il y a 500 000 qui est prévu pour ça. Et donc on s’était dit que c’est possible qu'à chaque fois qu’on fait un projet d’hébergement, il faudrait y adjoindre une intervention de ce type-là. Presque systématiquement, ça ne doit pas se faire seul. Alors chaque fois, ça dépend aussi de l’environnement associatif qu’il y a autour mais il faudrait presque développer une compétence de cette manière-là sur… Et ça répond aussi à autre chose, ça répond aussi à ce qu’on développe aujourd’hui dans les projets d’habitat de manière générale, ce que fait Horizome c’est aussi ce qu’on appelle maintenant techniquement de l’assistance à maîtrise d’usage (AMU) mais comment on fait pour que tout ça fonctionne bien ? Comment on met un peu de l’huile dans les rouages, comment les uns et les autres trouvent leur place et ont les informations nécessaires ? Pauline Comment on crée la confiance aussi ? Syamak Voilà. Mais ça se nourrit aussi ce type de projet, alors que ça n’est pas sa vocation, ça nourrit aussi par exemple notre politique dans le neuf aujourd’hui. On voit d'ailleurs, là je regarde toutes les consultations qui sont faites, que les promoteurs viennent avec des assistants à maîtrise d’usage. Donc voilà, il y a quatre ans de ça, ça n’existait pas. Personne n’en parlait, et donc il y a la notion de l’usage qui émerge, pour faire référence à quelque chose qui te plaît Pauline puisque je suis en train de lire Mickael Labbé [Reprendre place : Contre l'architecture du mépris] et il citait Lefebvre pour faire la différence entre l’habitat et l’habité, et c’est vraiment ça : l’habité c’est l’appropriation donc les usages, alors que l’habitat ce n’est que le cadre. Et je pense qu’il y a une mutation qui est en train de se faire. Moi dans ma tête, il y a une mutation entre quand je suis arrivé j’ai repris cette délégation et aujourd’hui je me suis enrichi de cette expérience. Donc la notion de l’usage a émergé de ma rencontre avec Horizome et de ce projet. Kevin Et pour ce qui concerne la partie accompagnement, l’Étage l’appelle empowerment des fois, ça dépend un peu… Syamak L'accompagnement social ? Kevin Voilà. Ça me permet de rebondir sur le public, parce que les publics sont quand-même très différents et la difficulté qu’il y a eu dès le début sur le projet, c’est justement comment faire avec des publics très différents : il y a des familles, des personnes isolées, des personnes avec des problèmes psychologiques et du coup souvent, on a l’idée qu’il manque des figures sur le lieu. On dit qu’il manque un éducateur, un animateur, un psychologue… Et donc ça, c’est peut-être une des choses : comment le public s’est mis en place ? Parce que c’est donc peut-être aussi innovant, parce que ce n’est peut-être pas hyper courant d’avoir dans une même structure d’accueil, certes sur des étages différents, des personnes qui ont des problèmes psy avec des familles avec enfants par exemple. Syamak Alors je pense que ça n’a pas été pensé de cette manière-là, ça n’a pas été théorisé, nous on est parti pour la partie qui concerne la ville de Strasbourg, qui était financée par la ville et l’Eurométropole, sur le public du premier appel à projet des cent places, c’est-à-dire « public vulnérable à la rue ». Et donc ça pouvait être des familles, des personnes isolées, des personnes à droit incomplet comme on dit, des déboutés du droit d’asile, toutes les personnes qui sont vulnérables et qui sont à la rue. À cela, s’ajoute la partie État, ce sont des gens statutaires. Donc la différence vient de là, parce qu’il y a deux publics, un qui est administrativement ciblé et un autre non, sachant que généralement dans les projets d’hébergement aujourd’hui sont essentiellement favorisées les familles avec enfants, et sont peu prises en charge les personnes isolées, quelles qu’elles soient d’ailleurs, qu’elles soient statutaires ou pas. Et donc je pense que la mixité vient de la mixité des publics qui nous est arrivé parce qu’on a été obligés de recomposer avec l’État. Finalement ce n’est pas plus mal. Après sur les interventions, je pense que si on part sur un modèle économique qui est celui-là, qui est de 14€/personne/jour, pour la partie accompagnement social et gestion du lieu, probablement ça permet une prise en charge et un accompagnement social qui est minimal, qui n’est pas forcément très qualitatif. Je pense que si on veut plus d’intervention sociale, il faut plus d'argent encore... Ou alors il faut organiser des interventions ciblées avec un réseau bénévole qui intervient. C’est par exemple ce qui se passe à l’Hôtel de la Rue, il y a un réseau de psychologues qui intervient de manière bénévole, puisque là-bas pour le coup, il n’y a pas d’autre cadre d’intervention que le cadre bénévole, mais je pense que ce sont des besoins qui doivent émerger aussi des expériences. Je pense qu’on doit vivre les expériences et dire « Voilà, est-ce qu’il faut des éducateurs, des interventions psychologiques ? Qu’est-ce qui manque ? » Je pense que les bilans doivent nourrir aussi la manière dont on doit construire les choses. De toute manière, quelle que soit la municipalité de mars, elle aura à créer au moins aux alentours de trois cents places, parce que les deux squats ensemble font trois cents places, donc il faudra les traiter quand-même quoi qu’il arrive, donc on sera au-devant de cette question de la définition du public. Moi ce que j’aimerais, c’est que quelle que soit la municipalité qui arrive, on ne soit pas dans des projets simples d’hébergement, mais qu’on soit dans des projets qui soient parfois de l’expérimentation… Ben parfois on essaie, des projets où la place de l’art et de la culture est quelque chose qui est partie intégrante des projets, pour amener aussi des acteurs associatifs du champ social à se dire que maintenant il y a aussi ce travail-là qui peut être fait en lien. Et puis ensuite derrière, avoir ces projets-là qui sont dans des logiques, un peu comme ce qui se passe sur Odylus, de recherche-action où à la fin ça peut donner lieu à des enseignements pour que l’on se dise : « Qu’est-ce qu’on en tire ? » et « Qu’est-ce qu’on peut dupliquer, qu’est-ce qu’on ne peut pas dupliquer, quelles sont les leçons qu’on peut en tirer ? » Et donc ça amène une manière aussi de faire la ville, la ville expérimentale. Parfois on peut se permettre d’essayer et d’échouer. Ce n’est pas grave, mais on peut essayer. Pauline Effectivement, c’est comme ça qu’on peut aussi s’assurer de ce qui marche et ce qui ne marche pas. C’est pour ça qu’à l’association [Horizome] en termes de méthode, on utilise le test-erreur. Penser l'erreur plutôt que l’échec dans l’idée que l’erreur est aussi là pour nous permettre de rebondir et d'en sortir plus fort. Donc juste, on change le mot, parce que l’échec on a trop été habitué, domestiqué, à voir ça comme quelque chose qu’il ne faut surtout pas vivre, qui va nous rendre vulnérables, pour reprendre le mot… Syamak Ok... Kevin Et du coup j’avais aussi une question par rapport à comment s’est mis en place le public, l’accompagnement. Parce qu’en fait souvent, ce qu’on trouve avec Pauline par rapport aux résidents, c'est la question des attentes et on a ce mot qui ressort de « squat amélioré » qui est très marrant… Syamak C’est les habitants qui disent ça ? Kevin Exactement. Et ils nous disent, et notamment je pense à un cas particulier, où moi je dirais que c’est une personne qui est experte des systèmes d’accueil parce qu’elle connaît par cœur comment ça marche, qui fait quoi, etc. et nous a d’ailleurs pas mal renseigné sur ça, et du coup où il y a eu quasiment une forme de doute au début : « Où suis-je tombé ? Est-ce que c’est un squat ? » Et du coup ça aussi c’est intéressant, parce que je voulais savoir comment, parce que je sais que selon les publics, ils ont aussi été renseignés différemment, les publics qui étaient envoyés par l’État avaient peut-être moins l’habitude, parce qu’ils n’étaient pas à la rue, d’être dans des structures qui étaient plus expérimentales, et peut-être donc un enseignement qu’on peut en tirer, c’est ça aussi. Je me pose cette question, vu que c’est souvent un « squat amélioré » selon les habitants. Il y a des personnes qui pensent l'Odylus en tant que squat, il y a des personnes qui le pensent en tant qu’accompagnement et hébergement. Syamak Mais en fait la question qui se pose c'est peut-être : « Est-ce que, quand on souhaite loger des gens, il faut qu’on soit toujours dans des infrastructures très lourdes en termes de montage de projet, de financement, de règles d’admission… ? Ou faut-il qu’on parte de choses assez simples ? » J’ai lu un livre récemment, ce n’est pas un français, c’est un néerlandais, et bon parfois, quand on pose un problème, on complique les choses. Et il disait un truc simple, il disait que le fait d’être à la rue, ça veut d’abord dire la pauvreté, la pauvreté ça veut d’abord dire le manque d’argent. Et être à la rue ça veut dire manque de toit. Donc de manière assez basique, il faut mettre de l’argent et il faut mettre un toit. C’est assez basique. C’est pour ça que dans le premier appel à projet qu’on avait fait sur les cent places, c’était assez simple, on s’est dit qu'on met de l’argent, les associations cherchent les appartements, les gens vont dans des appartements. Il n’y a pas plus simple que ce modèle-là, mais on pourrait carrément le faire autrement, et je crois que ça a été essayé à Londres... Il y a une association qui l’a fait à Londres, ils ont donné pour les personnes qui étaient à la rue, un droit de tirage sur un montant de 3000 livres par an, sur une durée de quatre ans, sans contrepartie. Et en fait 70% des gens à la fin se sortent de la rue, ce qui est un résultat assez intéressant et c’est la logique « Bon, ben on donne de l’argent gratuitement. » Il n’y a pas toujours de contrepartie à attendre, parce que la pauvreté c’est le manque d’argent, on veut enrayer la pauvreté, on donne de l’argent directement à la personne et on enlève tous les intermédiaires, tous les suivis, et donc on est aussi dans une logique d’autonomie et de respect du choix de la personne, et donc la question que moi je tire de tout ça : « Est-ce que les squats ne sont… ou les squats améliorés ou les choses comme ça… » Finalement, je veux dire : « Pourquoi pas ? À partir du moment… Alors il faut quand-même un minimum de sécurité et confort. À Sainte-Odile il y a un minimum de tout ça. Je veux dire : ce n’est pas idéal, ce n’est pas un logement idéal et pérenne, mais finalement c’est une sorte d’habitat temporaire, précaire, mais d’habitat quand-même. Et pour le coup un cadre de vie, parce qu’il y a des endroits où on peut se déplacer, il y a des usages différents, on a son espace privatif, on a son espace partagé, on peut faire des activités avec d’autres, et ça pour moi c’est plus intéressant que d’aller fabriquer un centre d’hébergement neuf, qui va coûter plusieurs millions d’euros, qui va mettre x temps à sortir, et finalement qui sera labellisé « centre d’hébergement ». Donc est-ce qu’on ne doit pas plus être dans ces solutions interstitielles ? Je ne sais pas. Alors certes, on te dira que ce n’est pas des solutions pérennes mais tout le monde n’a pas forcément l’envie de vivre dans... Quand on est en contact avec les grands isolés de la rue, on voit bien qu’une structure classique ne peut pas les accueillir, ils ne veulent pas y aller déjà. Kevin Oui tout à fait. Syamak Par exemple, l’Îlot typiquement, il fallait aussi un projet atypique avec une équipe atypique pour pouvoir parler à ces personnes. Quand on te raconte qu’une personne qui avait sa place à Îlot a mis six mois avant de dormir à l’intérieur avant d’accepter de dormir à l’intérieur... Il venait avec ses affaires mais il dormait dehors... Pauline Oui, on en a quelques-uns à l’Odylus aussi... Kevin Mais du coup justement c’est ce côté-là. C’est ça qui est marrant, d’avoir un public très différent, c’est qu’il y a des personnes qui s’attendaient à pire, qui s’attendaient à mieux, mais du coup il y a tout ça qui se met en place, parce que les gens parlent entre eux, et du coup il y a toute cette question où les habitants même réfléchissent au format de l’Odylus. Et c’est ça qui m’a un peu surpris en tant que psychologue. Syamak Ben, c’est un lieu de transition dans tous les sens en fait... Kevin Mais c’est ça, parce que du coup on tire des informations aussi de ça, parce que justement le mot « squat amélioré » j’aime bien, parce que ça montre les aspects positifs et négatifs de la chose en même temps. C’est-à-dire c’est un terme qui peut être interprété des deux côtés. Pauline Totalement. Kevin Mais du coup je pense qu’un autre enseignement qu’on peut tirer de ce qu’on commence à voir, c’est le fait de… Comment est-ce qu’on présente aux gens cette solution-là, selon le profil aussi ? Quand on les appelle souvent... On a ça aussi en entretien, c’est-à-dire le moment où on les appelle et on leur propose Sainte-Odile, là aussi ça a été présenté de manières très différentes. Syamak C’est vrai ? Kevin Oui, ça on commence à le voir. Il y a des fois où voilà, c’est l’assistante sociale qui appelle, du coup on s’attend par exemple à ce dont on était habitué avant, donc à un autre lieu de l’Étage, parce qu’en plus on sait que c’est l’Étage, et ils marchent d’une certaine façon, c’est très structuré, donc voilà ça se sait ça, surtout quand on est expert de l'hébergement d'urgence, et il y en a d’autres ben tout simplement, qui étaient à la rue, et l’Étage est venu les chercher directement dans les campements. Donc les deux choses sont intéressantes... On a des attentes très différentes et on commence à les voir, et on a des avis très différents aussi sur le projet. Donc c’est juste pour dire que ça aussi c’est un enseignement qui va nous donner des informations intéressantes sur le fonctionnement et sur comment ça a été perçu aussi. Et après justement le côté transitoire, c’est-à-dire là on commence à voir, et là aussi je pense que c’est un questionnement intéressant : comment on peut se projeter, comment on peut reconstruire sa vie, notamment quand on est dans des parcours de dépendance par exemple, en sachant que ça ne dure que dix-huit mois. Donc ça aussi, je ne sais pas si ça avait été pris en compte dans le projet en fonction des types de publics, mais il y a des publics qui s’adaptent plus ou moins à la forme transitoire, enfin moi je commence à le penser comme ça. Notamment sur des personnes qui sont en désintoxication ou des familles par exemple. Où, dans les deux cas, on sait qu’à l’issue, même les familles savent qu’à l’issue c’est plus facile de trouver quelque chose par exemple. Donc je me demandais est-ce qu’au début tout ça été clair ? Syamak Non, je pense qu’on apprend en marchant dans ce projet. Alors sur le côté transitoire on y a pensé : de toute façon, toutes les personnes vont être relogées. Pauline Et donc ça, on peut leur assurer ? Syamak Si c’est moi qui suis en charge, ça le fera... Mais je ne sais pas si en mars prochain ce sera moi, mais quelle que sera la prochaine municipalité, tu ne vides pas une structure comme ça en disant aux gens « Ben, vous allez dans la rue », normalement tu les reloges. Ça, c’est la moindre continuité et généralement c’est ce qui se passe localement, donc oui tout le monde sera relogé. Mais l’idée c’est quand-même que ces dix-huit mois permettent aux gens de s’installer dans un processus qui leur permette d’aller rejoindre ensuite une voie pérenne pour celles qui le peuvent, pour celles qui le souhaitent. L’idée c’est quand-même ça. Après parfois dix-huit mois ce n’est pas suffisant. Pour certaines personnes ça suffit, pour d’autres pas... Kevin Mais je pense que si déjà… Ça c’est une question que tout le monde se pose depuis le début. C’est « Est-ce que je serai relogé à la fin ou pas ? » Syamak Oui mais les gens seront relogés. Kevin Oui mais du coup c’est intéressant que ce ne soit pas clair dans le lieu. Il y a cette idée qui circule, on nous dit « Oui mais », « On sera relogé, oui mais de toute façon voilà... » Et après on voit aussi qu’il y a des gens qui sortent de Sainte-Odile parce qu’ils trouvent des solutions de logement et où parfois on dit « Ah oui mais lui, il a trouvé, du coup ça veut dire qu’il n’a pas tenu jusqu’à la fin... », ça aussi c’est intéressant. Pauline Il y a aussi un sentiment de méfiance chez les résidents au sein de la gouvernance du lieu... Syamak Ce qui est différent aussi des autres structures d’hébergement, je ne sais pas si les gens le sentent ou pas, en tout cas ceux qui fréquentent des structures d’hébergement, c’est que même si c’est dix-huit mois, c’est pensé sur le modèle que la personne qui entre, entre, et y reste tout le temps qu’il faut. On n'a pas deux jours de répit comme ça se passe à l’hôtel ou dans des structures : « Bon tu as deux jours pour te poser, le troisième tu retournes à la rue. » Comment on peut arriver à ça ? On se dit mais c’est un truc de fou, donc à la limite on se dit que c’est préférable de laisser les gens à la rue, mais comment ça se fait qu’on leur propose deux jours et après on les met dehors. Donc ça c’était déjà une façon d'agir politiquement contre cette idée. Le premier truc c’est que la personne qui arrive, reste dedans tant qu’il n’y a pas de solution. Et après l’idée derrière, c’est de reloger tout le monde. Comme à l’Hôtel de la Rue, il faut les reloger. Peut-être ce qu’il nous manque, et peut-être ce qu’on doit développer, je ne sais pas avec qui, avec l’université certainement, il faudrait qu’on fasse des études d’impact social pour qu’on puisse démontrer par A + B, même si ce n’est pas les mêmes caisses, le coût agrégé d’être à la rue et le coût agrégé d’être relogé. Parce qu’il y a des gens qui n’entendent que des arguments économiques. Je ne dis pas qu’il faut raisonner de cette manière-là, mais pour montrer à un moment donné qu’y compris économiquement, c’est une hérésie de laisser les gens à la rue ! Bon ça a été fait en Angleterre, dans d’autres pays il y a des études qui ont été faites et qui montrait que la rue en coût agrégé, en intervention, sécurité, en intervention sociale, sanitaire, ben ça coûte beaucoup plus cher que... Et je pense qu’il faudra peut-être aussi en passer par là. Mais est-ce que ce type d’expérience ce n’est pas quelque chose à retenter ? En tout cas moi la question que je poserai à la fin c'est plutôt « Est-ce qu’il faut retenter ce genre d’expérience ou pas et qu’est-ce que ça a apporté aux gens ? » Après je pense aussi que sans la présence d’Horizome, ça n’aurait pas été pareil, je pense que les choses auraient pu être plus difficiles, plus rudes comme truc, parce qu’il y des choses que l’Étage ne fait pas, parce que ce n’est pas leur job, ils n’ont pas forcément les compétences en interne. Donc sans ça, je pense que ça aurait été plus compliqué... Dans le contexte en plus, ce n’est pas n’importe quel bâtiment transitoire, c’est un bâtiment dans lequel on est entouré de chantiers ! Kevin Qui a un aspect d’hôpital, dans un quartier qui est quand-même en changement aussi... Syamak En plus dans un côté très cossu quand-même de Neudorf, dans des rues hyper chères de Neudorf... Kevin D’ailleurs ça aussi c’est intéressant, on a pu parler, j’ai fait des questions-réponses comme ça sur le marché avec les habitants. Au début, ils n’avaient pas du tout l’idée de ce qui allait se passer, on parlait de réfugiés, après ils ont reçu la lettre [lettre d'information de l'élu de quartier à destination des citoyen·ne·s, voisin·e·s de l'Odylus] donc c’était un peu plus clair, et après il y a eu des contacts, donc il y a eu la fête des voisins où l’Odylus a été invité... Syamak De la rue des Cottages ? Pauline Voilà. Après il y a eu la fête de la musique dans la cour de l'Odylus où certains sont venus. Kevin Les scènes ouvertes aussi [place du marché et cour de l'Odylus], où il y a eu des échanges. Mais du coup mon hypothèse au début sur où se situait la frontière au début entre intérieur et extérieur, je pensais qu’il y aurait beaucoup plus de mal avec le quartier, en fait on se rend compte qu’il y a beaucoup plus de difficultés entre les étages, entre déjà la chambre et l’extérieur, plutôt qu'en vis-à-vis avec le quartier. Parce qu’en fait, peut-être on va le voir sur la deuxième moitié, mais pour l’instant la projection sur le quartier n’est pas vraiment là, sauf pour les familles qui ont des enfants qui vont à l’école, parce que là, oui, il y a plus de vie de quartier. Mais pour les autres c’est plus compliqué, parce qu’il y a déjà toute une structure interne qui est bien compliquée à gérer et il y a un espace commun en bas où il y a des activités. Pauline Et pareil, on n’a pas précisé, mais nos systèmes d’entretiens, c’est de revenir voir les gens qu’on avait sondé une première fois, donc on revient dans l'idée tous les trois quatre mois. Donc là on arrive par exemple à certaines personnes qui en ont fait deux, et ça nous permet, déjà en termes de bilan intermédiaire, de voir ce qu’on peut modifier et améliorer en interne. Par exemple pour Horizome, dans notre logique de départ, on devait proposer d’accompagner les résidences mais c’est les artistes qui sont résidents et sur place, nous on est à Hautepierre et on se disait tous que c’est les artistes qui vont jouer le jeu de la capacitation et être sur place. Finalement ça s'est avéré pas possible donc on a totalement changé notre fonctionnement en interne pour qu’il y ait toujours quelqu’un de Horizome qui soit là de manière présente et permanente... Mais après, ça a un impact aussi budgétaire, donc pour faire ça, il doit quand même bosser à côté pour rester présent ici, c'est vraiment pas évident… On a aussi reçu du coup beaucoup de bénévoles au fur et à mesure des actions mises en place. Pas mal de personnes du voisinage sont venues, notamment des gens du domaine artistique qui ont dit : « Ben je veux bien faire un atelier, moi je veux bien donner un temps pour bosser sur ce projet, sur le chantier », etc. Donc ça, ça permet aussi de faire du lien. Kevin Même dans les pratiques professionnelles, on voit des mélanges bizarres, même sur l’Étage qui est quand-même une association très structurée, où tout le monde a bien son rôle, on arrive pour les travailleurs sociaux avec des missions à construire ou à trouver par soi-même... Syamak Donc ça veut dire que finalement, le cadre informel, pas très structuré et transitoire, amène à des pratiques informelles, des pratiques transitoires... Et voilà en tout c’est... Moi je dirais à refaire, mais en identifiant les lieux à l’avance. C’est pour ça qu’on a besoin d’archis, d’urbanistes, des gens qui pensent la ville. Il faudrait presque avoir un commando, un collectif ouvreur de squats… Et alors je sais plus, je n’ai pas eu le temps jusque-là d’aller à Toulouse, parce que je sais qu’il y a CEDIS [Collectif d'Entraide et D'Innovation Sociale], un collectif qui ouvre des squats, et ils sont tellement bons qu’ils le font en lien avec la préfecture. Kevin C’est fou ça. Syamak Moi la seule question qui me pose, c’est si c’est quelque chose qui doit être interne à la collectivité, ou si c’est quelque chose qui doit être externe. En interne à la collectivité ça permet d’inscrire ça dans une politique publique de long terme, mais ça le handicap, parce qu’une collectivité c’est lourd. Déjà, moi le projet Sainte-Odile, c’est le premier projet innovant expérimental que j’ai réussi à faire, parce que tous les autres projets à chaque fois où je venais avec des idées, on m’expliquait à chaque pourquoi ce n’est pas possible. Donc à un moment donné je leur ai dit « Moi, j’aimerais que vous disiez en quoi vous pouvez la rendre possible... » Et alors l’autre aspect aussi, parce qu’il y a aussi une question politique de visibiliser ces gens qui y habitent et visibiliser leur parole, donc rendre audible leur parole. Alors ça peut être fait à travers des travaux universitaires, mais ça peut être fait autrement aussi. Soit des travaux photographiques – je ne sais pas s’il y a un projet de film qui est prévu ou pas ? Parce que comme le lieu ne peut pas accueillir, ça reste quand-même un cocon un peu fermé. Je pense que, après bon il faut qu’il y ait quelqu’un qui ait envie de faire un film dessus, mais le film je pense que c’est le média le plus… Ça reste toujours aujourd’hui le média le plus puissant pour se faire entendre. Mais il faudrait quelqu'un qui s’intéresse au sujet, ce n’est pas un film de commande quoi, il faut que ce soit un film de quelqu'un qui veuille faire un documentaire... Pauline Ben ça c’est aussi quelque chose dont on se rend compte avec nos résidences. Il faut aussi qu’on fasse attention aussi à qui vient, parce que des artistes qui viennent en résidence en se disant « Moi, j’ai ma liberté d’artiste, et du coup je fais mon art, ou je fais ma résidence dans le lieu. Mais je ne travaille pas forcément avec les résidents et je ne m’intéresse pas forcément à ce qui se passe, hormis mon projet », ça arrive. Kevin Après il y a un effet sur ces personnes-là qui est indirecte, parce que quand-même il y a une logique qui se met en place, mais c’est vrai, couramment je pense qu’on touche entre 20 et 30% des gens dans les ateliers... Syamak C’est pas mal. Kevin C’est pas mal ! C’est vraiment pas mal ! Je m’en rends compte, mais par rapport aux envies qu’il y a, et notamment par rapport au travail d’Horizome dans les ateliers... Pauline Je ne sais pas… Ça veut dire quoi 20 % ? Kevin Ben c’est ça le truc, mais c’est quand-même pas mal, parce que si tu penses au fait que c’est totalement sur base volontaire, qu’il y a des profils particuliers aussi... Syamak Parce que ce n’est pas une vie communautaire non plus, je veux dire ce n’est pas un habitat communautaire. Kevin C’est ça ! Syamak Donc il y a de la promiscuité et il y a des trucs par la force des choses, mais ça reste des... - Si on était dans le cas d’un habitat communautaire… Mais 20 à 30% de participation c’est énorme. Kevin En tout, sur toute la longueur je dis, pas sur chaque projet mais... Syamak Tu prends un immeuble de logement social, tu mets en place des activités tu penses qu’il y a combien de personnes qui viennent ? Pauline Ben un des projets, le mieux reçu et le plus poétique, c’est une résidence photo, où du coup la photographe est arrivée, elle avait déjà pensé à tout son projet. Elle savait déjà comment attraper les gens et tout ça, et donc le premier jour elle s’est dit « Ben mince en fait, je dois tout déconstruire, rien de ce que j’ai imaginé ne peut être possible... » Et finalement, elle est rentrée, elle voyait aussi les autres artistes qui étaient là qui étaient plus en mode atelier, elle s’est dit « Ok donc là c’est peut-être une première entrée pour se rencontrer, créer la confiance », puis finalement elle a laissé des appareils photo aux gens et leur a demandé de faire une photo du lieu, et de lui expliquer du coup, comment pourquoi... Et petit à petit, je pense en dix jours, elle arrivait à rentrer dans tous les apparts. Et du coup elle restait... Elle n’avait pas son appareil avec elle, elle restait sur place, elle discutait avec la personne, elle écoutait ce qu’elle voulait bien lui raconter, et à partir de là, elle a imaginé avec eux, comment les représenter, et du coup valoriser leur personne au travers de la photographie. Syamak Donc c’est soit une photo de personne, soit une photo d’objet. Pauline Et du coup c’est devenu le portrait de la personne relié avec certaines photos d’objets. Syamak Un peu comme le travail qui avait été fait par HZM sur Hautepierre, cette entrée où les gens avaient photographié, dans la fresque, les objets de leur quotidien qui leur tenait... Kevin Mais du coup c’est le moment de restitution qui était incroyable, où là, vraiment, on a... Elle a touché, je pense, un quart des participants dans la soirée, mais du coup ça a eu un impact beaucoup plus large... Pauline Et c’est là aussi qu’on a pu rencontrer des personnes qu’on ne voyait jamais jusque là... Kevin Absolument, et les photos étaient dans le lieu, elle les a laissées en disant aux gens « Vous en faites ce que vous voulez. » Donc il y a des gens qui les ont prises dans leur chambre, il y en a qui sont encore là, ça a été très bien vécu... Pauline Et cette restitution a été privée, parce que du coup l'artiste a demandé aussi aux résidents ce dont ils avaient envie, et eux depuis la fête de la musique, c’était « On est comme des souris de laboratoire qu’on vient regarder... Là, c’est notre moment, c’est notre expo, c’est notre vernissage. » Et c’est effectivement aussi ce moment très intime, où il y avait des pleurs, il y avait des rires, c’était beau quoi... Kevin Et ça c’est typiquement le rôle de l’art dans la médiation sociale... Là, c’est l’exemple parfait et peut-être qu’il va se reproduire avec la prochaine résidence, parce que la cuisine a eu un rôle similaire. Ben il y a eu des repas ensemble un peu similaires, mais là c’était fou parce qu’il y avait trente personnes en bas... Après voilà il y avait des externes, mais que des externes qu’ils connaissaient quand même, donc il y avait les équipes, mais c’était vraiment bien. Enfin voilà, là en tout cas c’est vraiment mon moment préféré si je dois en citer un, c’est celui-là. Le moment de restitution. Je pense… Je ne sais pas si tu avais d’autres questions ou des précisions encore à apporter, mais sinon en tout cas merci beaucoup… Syamak Merci à vous deux...